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Bien-être au travail et musiques actuelles/amplifiées
17 septembre 2012

Le bien-être au travail à portée de main des musiques actuelles/ amplifiées

 co-écrit par Marc BOUCHET & Didier TERRASSON / sept. 2012

 

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Regarder ce qui dérange, pour le bien de tous.

Nos expériences professionnelles, d’une part de direction et d’encadrement d’équipe, d’autre part de coach ayant travaillé dans le secteur des musiques actuelles-amplifiées, nous confrontent, depuis une dizaine d’années, aux risques et troubles psychosociaux du travail. Nos observations individuelles et nos discussions communes nous conduisent aujourd’hui à aborder, avec toute la prudence et l’humilité que cela requiert, la souffrance au travail [1] dans ce secteur et participer à lever des tabous.

Nous sommes bien conscients que traiter de la problématique qu’est la souffrance au travail et donc de la manipulation, voire du harcèlement, c’est aborder un domaine sensible, car il nous implique tous individuellement et collectivement. Le secteur des musiques actuelles/ amplifiées, inscrit dans le champ de l’économie sociale et solidaire et de l’éducation populaire, serait moins exposé aux risques et troubles psychosociaux.

Pourtant, on parle régulièrement de la pression liée à la rentabilité et aux chiffres d’affaires, du stress généré par la précarité de l’emploi, des surcharges de travail dues aux sous effectifs, des dysfonctionnements organisationnels, du manque de motivation et de l’absence d’engagement de la nouvelle génération, de l’ambiguïté des relations hommes – femmes …

Nous pourrions poursuivre ce bréviaire qui pourrait être celui du secteur marchand mais dans lequel chacun de nous peut reconnaître son environnement de travail.

Les musiques actuelles/ amplifiées sont tout autant touchées par les troubles psychosociaux, mais elles ont l’avantage d’avoir prouvé par le passé leurs capacités à trouver des réponses pertinentes à des problématiques spécifiques à leur secteur: l’amélioration des conditions de travail dans le cadre de la prévention des risques auditifs en est un exemple. Il nous apparaît donc possible de se saisir de la souffrance au travail avec autant d’énergie et de détermination.

Trouver des solutions nécessite, au préalable, une meilleure identification et une meilleure définition des termes employés, tant sur un plan juridique ou médical, qu’organisationnel et relationnel. Dans un deuxième temps, il est de s’appuyer sur les valeurs qui animent historiquement les acteurs des musiques actuelles/ amplifiées : la solidarité, l’entraide, l’épanouissement, les principes de coopération et d’accompagnement… pour amorcer le changement !

Une entreprise qui fonctionne n’est-elle pas avant tout une entreprise qui garantit le bien-être de ses équipes (salariés et/ou bénévoles) pour développer son projet et atteindre ses objectifs ?

 

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I / La souffrance au travail : Un fléau national qui nous interpelle sur des enjeux de société.

Les événements tragiques, qui marquent encore aujourd’hui des entreprises telles que Renault ou France Télécom, les problèmes de management à la FNAC, ont mis en lumière l’urgence de la question des risques et troubles psychosociaux et de la santé des personnes, ainsi que leurs conséquences désastreuses, qu’on les envisage en termes économiques, philosophiques et évidemment en termes humains.

En 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement du travail (l’Afsset) alerte les pouvoirs publics sur le fait que les consultations pour des troubles psychosociaux se trouvent à la première place des pathologies professionnelles et représentent 27 % des causes de consultations. Elle y distingue les conséquences sur la santé physique, concernant notamment les troubles musculo-squelettiques qui touchent en France 12 à 14% des salariés, des conséquences sur la santé psychique, pouvant engendrer des syndromes anxio-dépressifs (environ 8 à 10 % des salariés) dont le suicide est le stade ultime et le plus cruel.

Cette augmentation des troubles psychosociaux nous renvoie tout autant à des enjeux de santé publique qu’à des enjeux d’efficacité économique.

On avance que les modes d’organisation et la finalité commerciale des entreprises seraient, dans un contexte d’ultra compétitivité et de précarité liée à l’emploi, à l’origine d’un excès de stress et de souffrance. Peut-on aller plus loin que ces constats et affiner l’analyse ? En effet, la question de la souffrance au travail et des troubles psychosociaux n’est pas l’apanage du seul secteur marchand et concurrentiel, le secteur public ou parapublic est également touché. En poursuivant la réflexion, peut-on faire l’impasse sur la question politique et sur des enjeux de société ?

 

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II / Sortir de la confusion entre les risques et les troubles psychosociaux.

Les conséquences des troubles psychosociaux pour une entreprise sont importantes sur un plan économique et social. Cela se traduit par de l’absentéisme, un turn-over excessif, des conflits sociaux, une image négative, etc. Au final, des objectifs économiques et humains qui ne sont pas atteints par l’entreprise et/ou l’équipe.

Cependant, même à ce niveau de l’analyse, nous devons distinguer les choses. Au cours de nos recherches et de nos discussions, nous avons constaté qu’il y avait confusion dans l’utilisation des termes « risques psychosociaux » et « troubles psychosociaux ». Le stress est-il par exemple un risque (cause) ou un trouble (conséquence) ?

 

1 / Les risques psychosociaux [2], causes de dysfonctionnements.

Les risques psychosociaux sont des modes de fonctionnement présents dans l’entreprise qui vont favoriser l’apparition de troubles psychosociaux.

La clarification est primordiale car elle introduit la notion « d’indicateurs d’alerte ». Ils apparaissent avec la précarité et sont liés entre autre aux conditions de travail, à l’organisation ou aux relations humaines. Force est de constater que le secteur des musiques actuelles/ amplifiées est familier de ces indicateurs. Tels ceux qui sont :

 Liés aux conditions de travail :

  • Le travail de nuit ou les horaires décalés (dont sont coutumiers les salariés du spectacle vivant et des musiques actuelles/ amplifiées).
  • L’interruption d’activité, par la succession de tâches entrecoupées, liées à plusieurs fonctions qui ne sont pas en lien direct les unes avec les autres.
  • Les charges lourdes, les espaces de travail bruyants, le bruit.

Liés à l’organisation :

  • Le travail monotone et pauvre en contenu.
  • La poly-compétence.
  • La précarité des contrats (CDD, contrat de prestation, contrat à temps partiel).
  • Les salaires insuffisants (inadéquation avec les compétences et les missions).

Liés aux relations humaines :

  • La violence externe et/ou interne (agressivité des clients ou des usagers). En ce sens, les régisseurs des studios de répétition ou les personnes chargées de la billetterie d’un lieu occupent des postes exposés et sensibles.
  • Le déficit de communication.
  • L’empêchement de prendre des initiatives.
  • Des objectifs à atteindre trop flous voire irréalisables.

On peut pallier à certains risques par une modification des conditions de travail ou une amélioration de l’organisation. D’autres sont inhérents au secteur et doivent être acté en tant que tels. Les horaires décalés par exemple.

 

2 / Les troubles psychosociaux [3], conséquences de dysfonctionnements.

Les troubles psychosociaux sont une conséquence sur la personne, des modes de fonctionnement présents dans l’entreprise.

Le terme « troubles psychosociaux » s’apparente à un terme médical que la médecine du travail appelle aussi « la souffrance au travail ». On y différencie les troubles musculo-squelettiques (TMS) et les troubles anxio-dépressifs. Nous avons recherché pour rendre compréhensible notre propos, des définitions accessibles de ces deux termes.

Les troubles musculo-squelettiques : Souffrances physiques liées à une tension et à une surcharge de travail. « Les TMS résultent d’un déséquilibre entre les capacités fonctionnelles des personnes et les sollicitations qui apparaissent dans un contexte de travail notamment, sans possibilité de récupération suffisante ». Les TMS affectent principalement les muscles, les tendons et les nerfs. C’est-à-dire les tissus mous. C’est entre autres, le fameux « mal au dos » ou la tendinite de l’écrivain (douleurs au poignet).

Les troubles anxio-dépressifs : Souffrances psychiques liées à un ou plusieurs évènements. Issus de définitions complexes de psychiatrie, il est assez juste de les définir ainsi : « (ils) sont caractérisés par l’apparition de symptômes cliniquement significatifs dans les registres émotionnels ou comportementaux, en réaction à un ou plusieurs facteurs de stress venant déborder les capacités d’adaptation du sujet. Le caractère inadapté (pathologique) du trouble se manifeste par une souffrance marquée plus importante que celle qui était attendue compte tenu de la nature du facteur de stress ou bien par une altération significative du fonctionnement social, professionnel (…) » [4]

Les troubles anxio-dépressifs regroupent l’anxiété, le stress, la dépression, l’épuisement professionnel popularisé par l’appellation de « burn out » et le suicide.

Ils sont révélés par de l’agressivité, des problèmes récurrents de sommeil, de la fatigue, une baisse de satisfaction au travail, une perception amplifiée des contraintes, etc. voire des comportements addictifs.

Il est nécessaire de faire preuve de discernement face à des troubles anxio-dépressif. En effet, qu’est ce qui relève de la vie privée et qu’est ce qui relève de la vie professionnelle ? Néanmoins il convient aux managers et employeurs de ne pas mettre systématiquement en avant des difficultés personnelles de leurs salariés pour occulter une problématique professionnelle.

Quels que soient les troubles, ils peuvent toucher tous les corps de métier et tous les niveaux de hiérarchie (direction d’équipe, responsable d’équipe, cadre et non cadre …).

Une entreprise attentive à la santé de ses équipes modifie/ adapte ses conditions de travail et son organisation. Dès lors, les troubles musculo-squelettiques diminuent voire disparaissent. Les troubles anxio-dépressifs par contre subsistent. Il convient alors de s’interroger sur ce qui génère le stress et l’anxiété (à minima) et ce qui est à l’origine de ces troubles.

Selon nous, on doit aller rechercher du côté des relations humaines, 3ème dimension de l’entre-prise, ce qu’il y a lieu de modifier. Et par là même, d’empoigner une réalité à laquelle nous sommes confrontés directement via nos activités respectives : manipulation, harcèlement et relation au pouvoir !

 

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III / Manipulation et harcèlement : Inconscience ou volonté de nuire.

C’est, sans conteste, l’un des sujets les plus sensibles et les plus dérangeants. Termes forts et lourds de conséquences qui nous impliquent tous au-delà de nos sensibilités et de nos connaissances.

La manipulation se définit, selon le Larousse, par « une action d’orienter la conduite de quelqu’un, d’un groupe dans le sens qu’on désire et sans qu’ils s’en rendent compte ». La manipulation est de l’ordre de l’action (je fais), liée à des compétences (savoir-faire).

La manipulation est pour l’individu, un moyen d’atteindre ses objectifs et son propre but professionnel. Soit parce qu’on lui demande (par exemple, augmenter la productivité d’un effectif de salariés pour répondre à une pression économique), soit par incompétence (entretenir le flou dans les objectifs posés aux salariés parce qu’on ne sait pas faire autrement !). C’est une prise de pouvoir pour atteindre un objectif, conserver un ascendant, une légitimité sur une équipe ou sur une personne.

Cela peut donc se résoudre à travers l’apprentissage et la formation. Mais cela nous indique que nous sommes tous en capacité de manipuler sans que cela fasse de nous, et heureusement, des manipulateurs au sens pervers du terme.

Le harcèlement : Terme à l’origine psychiatrique, il peut induire une confusion car il est aussi utilisé aujourd’hui en droit pénal« Le harcèlement moral ou sexuel au travail se définit comme toute conduite abusive (geste, parole, comportement, attitude...) qui porte atteinte par sa répétition ou sa systématisation à la dignité ou à l'intégrité psychique ou physique d'une personne, mettant en péril l'emploi de celle-ci ou dégradant le climat de travail. Il s'agit d'une violence à petite touches, qui ne se repère pas, mais qui est pourtant très destructrice. Chaque attaque prise séparément n'est pas vraiment grave, c'est l'effet cumulatif des microtraumatismes fréquents et répétés qui constitue l'agression. » [5] et [6].

Le harcèlement moral et/ou sexuel relève d’un état mental (je suis) et d’une perversion. En psychiatrie, on parle de harceleur moral (pervers narcissique) et/ou sexuel ou de manipulateur mental ou relationnel. Un pervers manipule et harcèle car il prend plaisir à détruire et à humilier une autre personne indépendamment de tout intérêt professionnel. C’est une prise de pouvoir avec la volonté de nuire.

A la différence du harcèlement sexuel qui est pratiquement toujours le fait d’un agissement individuel, le harcèlement moral ou la manipulation au travail peut être aussi le fait d’un groupe, d’une équipe voire d’un système.

Jusqu’à la promulgation de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, le harcèlement moral n’était indiqué dans aucun texte juridique, contrairement au harcèlement sexuel, depuis 1992 [7]. La loi vient d’être abrogée par le Conseil Constitutionnel. Une nouvelle proposition devrait être à l’ordre du jour de la nouvelle Assemblée Nationale.

 

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IV / « Prendre le pouvoir sur » l’autre, une question de survie ou de reconnaissance.

Cette question du pouvoir rappelle nos origines « animales » et comment nous (l’homo erectus) pensons encore et toujours que pour exister (survivre), nous devons l’asseoir, le conserver et le conforter… On a tous en mémoire l’image du guitar hero ou du chanteur poursuivi par des hordes de groupies hystériques !

On peut également s’interroger à ce sujet sur la prédominance du masculin aux postes de pouvoir de décision (présidence, direction …) et la prédominance du féminin aux postes « d’assistance » (communication, administration, accueil, etc.).

On ne sera donc pas surpris si le harcèlement moral et/ou sexuel, tous secteurs professionnels confondus, musiques actuelles/ amplifiées compris, s’inscrivent encore et toujours dans nos schémas culturels.

Tout comme le harcèlement sexuel, la manipulation peut exister entre salariés de même niveau. Dans un groupe, le rôle de bourreau et celui de victime peut être interchangeable et ne répond pas forcément à des logiques uniquement hiérarchiques quand bien même ces dernières les facilitent parfois.

S’il apparaît évident que les directeurs-trices, qui ont la responsabilité des ressources humaines et de l’animation des équipes, sont tenus par la loi de ne pas exercer une autorité excessive sur leurs salariés, il est possible qu’un salarié soit en position de harcèlement/ de manipulation à l’égard d’un pair ou d’un supérieur hiérarchique (directeur-trice).

Les rapports de force, c’est-à-dire « prendre le pouvoir sur », nous paraissent un des éléments essentiels à l’origine de la manipulation. Pour la contenir et la réduire à un minimum « acceptable et réaliste », nous préférons et défendons l’idée de « prendre le pouvoir avec », dans le sens d’un pouvoir partagé qui prend en compte les intérêts de chacun. Cela nécessite de fait de penser et de mettre en œuvre d’autres alternatives relationnelles qui viendront donner un sens aux conditions de travail et à l’organisation de l’entre-prise.

 

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V / « Prendre le pouvoir avec » l’autre, un enjeu alternatif et possible.

La santé et la sécurité des salariés sont des droits fondamentaux, qui obligent l’employeur à organiser la prévention au sein de l’entreprise (L230-2 du code du travail). L’obligation de sécurité de l’employeur à l’égard des salariés est donc une obligation de résultat. Elle est fixée par le Code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l’établissement».

Cela suffit-il ? Si la loi peut avoir des vertus incitatives, elle fixe l’objectif mais elle ne dit pas comment y arriver. Trop souvent, on se focalise sur les conditions de travail et l’organisation de l’entreprise comme réponse unique. Nous le savons, les troubles anxio-dépressifs perdurent même dans les entreprises où l’organisation est optimale …

De notre point de vue, Il faut aller plus loin et en premier chef, lever la confusion entre le pouvoir et la hiérarchie. Un cadre dont la fonction est de décider a de part sa fiche de poste, un pouvoir de décision sur des actions. Jamais de pouvoir sur des personnes. Prendre le pouvoir sur des personnes, c’est rentrer dans la spirale de la manipulation.

Aussi l’idée que nous défendons de« prendre le pouvoir avec »,induit dans un fonctionnement qui peut être hiérarchique, des modes relationnels et par voie de conséquence organisationnel qui soient collaboratifs et participatifs. Ce type de fonctionnement n’enlève en rien la prise de décision par l’encadrement. Bien au contraire si la règle du jeu est connue, elle le légitime dans sa fonction.

 

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VI / Le bien-être des personnes, au service du projet.

Nos réflexions et nos actions pour lutter contre la souffrance au travail nous ont amenés à nous interroger sur le sens du travail et les aspirations auquel chacun peut prétendre. La recherche et la littérature sur ces sujets sont abondantes mais aboutissent toujours à la même conclusion. En 1er chef, le travail est une réponse à des besoins fondamentaux (se nourrir, se loger et se vêtir), puis, très vite, chacun de nous va chercher d’autres satisfactions : recherche de sens, épanouissement, plaisir, valorisation, considération, appartenance, etc. En l’absence de prise en compte de ces besoins, les salariés (et/ou bénévoles) développent des « stratégies défensives »,[8] premières étapes vers la souffrance. Aussi, aborder la souffrance au travail, c’est selon nous revenir au sens de la dimension homme /projet, fondement de la naissance des musiques actuelles/ amplifiées. Un projet n’a de sens qu’avec les personnes qui le font vivre. Mais alors, quel est l’intérêt de développer un projet s’il fabrique de la souffrance ? Nous pensons que pour sortir de cet absurdité, Il faut remettre l’humain au cœur des projets c'est-à-dire reconnaître à chaque acteur, la légitimité de ses besoins et de ses attentes. Autrement dit, lui reconnaître le droit au bien-être physique et psychique, dans l’intérêt du projet et quelque soit le contexte professionnel.

 

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VII / Une « boîte à valeurs » au service du bien-être.

De ce point de vue, en parallèle de la création d’une « boîte à outils », liée à l’organisation du travail, ils nous semblent que les lieux de musiques actuelles/ amplifiées doivent d’abords développer l’idée d’une « boîte à valeurs » comme un point d’ancrage de leur projet. Ils ont les moyens de la constituer à partir des grand principes que nous retrouvons dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), en particulier dans le manifeste de l’UFISC (organisation coopérative, principe démocratique, épanouissement des individus, droit à la différence…) [9] et dans l’éducation populaire (implication, émancipation collective, apprentissage) [10]. Le contenu de cette « boite à valeurs » deviendrait ainsi le socle du principe de bien être des personnes au service du projet.

Ainsi donc, une entreprise sociale et solidaire des musiques actuelles/ amplifiées doit être dans une démarche bienveillante et d’accompagnement vis-à-vis de l’ensemble de ses salariés et/ou bénévoles. Elle stimule de fait, le dialogue et les idées, la diversité des échanges, l’épanouissement et la dignité des collaborateurs au service du projet culturel et social. Un des moyens d’y parvenir, que suggère Christophe DEJOURS (médecin psychiatre/clinicien du travail), serait de développer l’évaluation collective [11], que l’on pourrait aussi définir par la reconnaissance du travail collectif et/ou du groupe [12]. Ce n’est qu’à ce niveau d’analyse, une fois la « boîte à valeurs » conçue et partagée, que peut s’élaborer une « boîte à outils ».

 

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VII / Une « boîte à outil » au service du projet.

Dans une entreprise, quelle qu’elle soit, il existe des outils pour améliorer les conditions de travail, l’organisation structurelle et les relations professionnelles (interpersonnelles). Les musiques actuelles/ amplifiées s’en emparent depuis quelques années. A titre d’exemple de nombreux chantiers sont ouverts :

En gestion des Ressources Humaines/ GRH avec :

  • Le plan de formation pour permettre aux équipes de compléter leurs compétences,
  • Les relations sociales et syndicales avec l’élection des délégués du personnel pour faciliter la médiation et la négociation.
  • La rédaction du document unique de prévention des risques,
  • Les accords d’entreprise, etc.,

En organisation avec :

  • La rédaction du projet artistique et culturel et des organigrammes (hiérarchique / fonctionnel),
  • L’utilisation des outils de management (fiche de poste, délégation, entretien annuel, ...),

Ou en communication interne avec la mise en place de procédures d’information ascendante et descendante (intranet, réunion d’équipe, etc.).

 

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Le bien-être au travail : A une seule condition !

En conclusion, il convient de distinguer les risques physiques, qui dépendent des conditions de travail, des risques psychiques (troubles psychosociaux) qui relèvent de l’organisation du travail. Les 1ers demandent un changement de procédures technique, les 2èmes nécessitent un changement de regard sur l’humain au travail. Comme nous avons pu le voir tout au long de cet article, le chantier est complexe mais les pistes de travail existent. Y compris dans une économie fragile et des fonctionnements atypiques. Et si la prise en compte du bien-être était une piste pour consolider l’édifice ?

Ouvrir ce chantier est faisable dans un secteur où les ressources existent ! La prise de conscience et tout le travail qui a été mené sur la prévention des risques auditifs à destination des salariés et des usagers dans notre secteur l’ont démontré. A la fois en raison de la législation mais aussi en raison de l’enjeu de santé publique (prendre du plaisir en réduisant le danger) dont le sens a été complètement compris et intégré par l’ensemble des acteurs et de la filière.

De plus, l’appartenance du secteur des musiques actuelles/ amplifiées aux convictions et aux valeurs de l’éducation populaire et de l’économie sociale et solidaire, nous incite à penser que c’est au sein de celles-ci, que pourront être trouvées des alternatives et des réponses adaptées aux questions liées à la souffrance au travail. Nous sommes convaincus qu’une organisation bien intentionnée vis-à-vis de ses équipes fondée sur un système collaboratif et coopératif réduit fortement et durablement, les troubles psychosociaux.

Pour notre part, il apparaît nécessaire de décider, de revendiquer et de défendre que dans une organisation professionnelle, la première intention est le bien-être physique et psychique des personnes, au service du projet, en revenant (dans une vision politique et humaniste) à des fondamentaux tels que le sens de nos projets, de nos structures et de nos choix professionnels.

Que risque-t-on à essayer ?

 

 


 

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ANNEXE 1 - Définitions et compléments d’informations.

 

 

L’Economie Sociale et Solidaire (ESS) est définie « comme étant constituée d’activités économiques réalisées par des entreprises principalement coopératives, et par des mutuelles et des associations qui respectent les principes suivants : un souci permanent de service de la part des membres ou de la collectivité au-delà du simple profit, une autonomie administrative et financière indépendante du marché et/ou du pouvoir politique, un processus de décision démocratique (gestion démocratique), une priorité donnée aux personnes et au travail plus qu’au capital dans la distribution des revenus salariés. »

          Article paru dans la Revue RECMA - Cyrille CHRETIEN et Jacques RENARD- L’économie sociale : souffrance et charbons ardents.

 

La reconnaissance et le travail réel et prescrit : Cette question est centrale dans les « travaux » de Christophe DEJOURS, spécialiste de la souffrance au travail (médecin psychiatre/clinicien du travail) et dans lesquels sont développés les concepts de travail réelet de travail prescrit. Le travail prescrit correspond aux objectifs de l’entreprise et définit l’organisation du travail ainsi que ses procédures (règles). Le travail réel, c’est faire l’expérience de l’échec, de la difficulté et de la possibilité d’apprendre par l’erreur (« le temps d’endurance pour trouver des solutions »). 

La réalité du travail pour la personne, comprend également son autonomie ou ses possibilités de prises d’initiative, sa liberté d’adhérer au projet. Ainsi, le travail réel intègre les convictions, les désirs, les envies et les valeurs personnelles que chacun peut incarner dans son travail, qu’il soit effectué à titre salarié ou bénévole. La souffrance est la conséquence de l’écart entre le travail prescrit (la tâche) et l’activité réelle (le travail vécu). Il  s’agit donc de combler ou réduire l’écart perpétuelentre la tâche et le travail vécu. Cet écart peut être surmonté et dépassé par une reconnaissance dite de « dynamique et des relations interpersonnelles », ainsi que par une reconnaissance salariale. En effet pour Christophe DEJOURS, cette reconnaissance s’articule autour de deux ordres. La « reconnaissance d’uti-lité »  exprimée par la hiérarchie. La reconnaissance de beauté (sens, estime professionnelle et personnelle), par les pairs et/ou collègues. Cette double reconnaissance favorise ainsi la régulation (atténuation) de l’écart entre le prescrit et le réel.

 

L’obligation de sécurité à l’égard des salariés est une obligation de résultat inscrite dans le code du travail. Les tribunaux estiment que le simple fait de ne pas l’honorer suffit à mettre en cause la responsabilité pénale de l’employeur. Par conséquent, les mesures de prévention des risques professionnels misent en œuvre, doivent garantir impérativement le résultat.

Dans le cas particulier des accidents du travail, c’est sur le fondement de l’article 121-3 du Code pénal que cette responsabilité sera invoquée : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Les entreprises, en tant que personnes morales, peuvent également être tenues pour pénalement responsables en tant qu’auteur d’une infraction (Art. 121-2 CP).

 

Discrimination au travail : « Au terme de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (JO du 28), est assimilé à une discrimination, tout agissement lié à l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, les convictions, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou le sexe, et tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, intimidant, dégradant, humiliant ou offensant. »

 

Harcèlement moral : « Tout salarié ayant procédé à des agissements constitutifs de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire (qui peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave). Par ailleurs, les faits de harcèlement moral sont punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 €. La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue. ».

          Extrait du site du ministère du travail (fiche pratique).

 

 

 

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ANNEXE 2 - Bibliographie

 

 

Ouvrages publiés :

DEJOURS, Christophe (psychiatre) :

- « L’évaluation du travail à l’épreuve du réel - Critique des fondements de l’évaluation », INRA éditions - 2003.

- « Souffrance en France - La banalisation de l'injustice sociale », éditions du Seuil - 1998.

HIRIGOYEN, Marie-France (Psychanalyste):

- « Malaise dans le travail, Le Harcèlement moral dans la vie professionnelle » édition la découverte - 2001.

Le GOFF, Jean-Pierre (sociologue) :

-« Le Mythe de l’entreprise : critique de l’idéologie managériale », Paris, La Découverte - 1992.

- « La Barbarie douce », Paris, La Découverte - 1999.

VAN COLEN, Flavie (Directrice adjointe au Paloma – Nîmes) :

« Education populaire et musiques amplifiées » Edition Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire - 2003.

 

Articles, revues et périodiques :

LE RENDU-LIZÉE, Carole (Enseignante-chercheuse en GRH),  

« Quelles formes d’implication dans les lieux de musiques actuelles et amplifiées ? », Volume ! La revue des musiques populaires, n° 4(2) - Edition Melanie Seteun – 2006 (p. 25-40).

RENARD, Jacques (enseignant- chercheur),  

« L’économie sociale : souffrance et charbons ardents », revue RECMA - 2008.

 

Etudes, rapports, mémoires universitaires :

EDEY GAMASSOU, Claire (Enseignante – chercheuse en science de gestion),

« Les causes spécifiques de stress et d’implication chez les agents de la Fonction Publique Territoriale »

LE RENDU-LIZÉE, Carole(Enseignante-chercheuse en GRH)- GUIBERT, Gérôme(Dr en Sociologie),

« Étude sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences au sein du Réseau Aquitain des Musiques Actuelles - 2007

ARACT Haute-Normandie - Fiche pratique N°10

« Prévenir les risques psychosociaux » - 2011

 

Actes de colloques, tables rondes, débats :

TRONTIN, Christian - INRS

« Conséquence économique du stress : les enjeux pour l’entreprise » - 2008

 

Documentaires vidéo :

« La mise à mort du travail », série documentaire de Jean-Robert VIALLET - France 3 – 2010

« Prud’hommes » - Stéphane GOEL – Blaq out - 2010

« Un monde sans fous » - entretien avec Christophe DEJOURS - Mediapart – 2010

 



[1] La Souffrance au travail (terme médical) : La souffrance au travail peut aller du simple malaise (remise en question de son orientation professionnelle) à la mise en danger de sa santé morale (psychique).

[2] Définition des risques psychosociaux: Probabilité qu’un trouble se manifeste.Catherine Brun, de l'ARACT Aquitaine

[3] Définition : Apparition de signes plus ou moins perceptibles qui peuvent progresser jusqu’à devenir pathologiques. Catherine Brun de l'ARACT Aquitaine(Wikipédia – risques psychosociaux)

[4]  « Troubles anxieux et troubles de l’adaptation » – Rédacteurs : JP Boulenger/ C. Piquet/ E. Corruble/ P. Hardy (www.univ-rouen.fr)

[5] Nous avons repris cette définition assez complète de Marie-France HIRIGOYEN (Psychanalyste), notamment du fait que c’est à l’issue de ses travaux et de son ouvrage « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien » que le harcèlement a fait l’objet d’une loi. Loi introduite dans le code pénal (article 333-22-2 et qui  concerne  le domaine de l’entreprise ainsi que le domaine personnel (domestique).

[6] On utilise aussi le terme de manipulation mentale« qui désigne l'ensemble des tentatives obscures ou occultes de fausser ou orienter la perception de la réalité d'un interlocuteur en usant d'un rapport de pouvoir, de séduction, de suggestion, de persuasion de soumission non volontaire ou consentie. Quand ce pouvoir ne s’exerce pas sur un objet, mais se rapporte au contrôle psychique d’une personne (...) » Arnaud ESQUERRE - L’Unebévue. Revue de psychanalyse, Paris, 2002, n°20, pp. 47-64.

[7] Cette question a donc été traitée au niveau du code du travail, du code pénal[7] et du statut général des fonctionnaires.

[8] « Les stratégies défensives collectives (actions syndicales), qui peuvent permettre un équilibre possible de l’identité par la conquête éventuelle d’une reconnaissance par ses pairs... Les stratégies défensives individuelles aux formes multiples (grève de zèle le retrait, la fuite en avant, la dépendance alcoolique ou médicamenteuse, la somatisation…) entraînant des troubles pathologiques» Christophe DEJOURS, médecin-psychiatre, professeur au CNAM et spécialiste de la psycho-dynamique du travail.

[9] 3.2 Primauté de la coopération (Manifeste de l’ufisc)

[…] « Les différentes formes possibles de coopération sont le fondement même de toute valeur, tant symbolique qu'économique, des activités humaines. […]. Plus qualitatif, il repose sur des formes de gestion et d'organisation partagées et solidaires qui privilégient la personne humaine dans toute activité entreprise.

3.2.1. – « Promouvoir la cogestion des projets et la gestion partagée des structures comme modes de gouvernance les mieux adaptés aux objectifs de ses membres, en particulier auprès des entreprises culturelles et artistiques qu'elle rassemble. Faire en sorte que les salariés, permanents, temporaires ou intermittents, fortement impliqués dans les structures et les projets soient partie prenante de leur gestion collective ». Manifeste de L’UFISC

[10] « L’éducation populaire s’oppose aux modèles traditionnels d’enseignement qui postulent qu’il suffit d’instruire, d’enseigner pour que la culture reste. Il s’agit par contre d’une forme d’auto éducation, qui offre aux individus la possibilité de prendre conscience de leurs aptitudes, de développer leur personnalité, au contact des uns des autres » Flavie VAN COLEN, Education populaire et musiques amplifiées, INJEP, 2003

[11] L’évaluation est un sujet à part entière et qui nécessiterait un regard critique et détaillé tant il pose ces derniers temps des questions éminemment politiques. Le texte qui suit ne remet pas en cause l’évaluation en elle-même mais le sens de l’évaluation telle qu’il peut être compris en management. « Jamais les individus n'ont été à ce point évalués et sollicités à s'engager dans des projets personnalisés et à se projeter positivement dans l'avenir, au moment même où la société ne semble plus trop assurée de savoir où elle va. Cette auscultation permanente et ce culte de la performance masquent une sourde angoisse face à des questions qu'on ne peut pas effacer : « la modernisation pour quoi faire ? A quel prix du point de vue des acquis sociaux et des finalités du vivre-ensemble ? Pour aller vers quel type nouveau de société ? » Jean-Pierre Le GOFF, La Barbarie douce, La Découverte, Paris, 1999, p. 121

[12]  Il s’agit de sortir du jugement individuel pour travailler plutôt à la reconnaissance de l’action du groupe (équipe admi-nistrative, technique, d’accueil…) et à ses résultats professionnels. Les solutions des problèmes font dès lors l’objet d’une réflexion commune et partagée par les différents protagonistes.

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Commentaires
M
Bonjour, merci pour ce retour et effectivement la question du "présenteisme" en lien avec la dimension d'appartenance et de surchages de travail , contribue au mal être. L'article du monde est en ce sens trés interressant.<br /> <br /> Bien cordialement<br /> <br /> MB
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour cet article qui pose le doigt sur un soucis dans nos structures musiques actuelles. Il serait intéressant de le lier aux chiffres des arrêts maladies de notre secteur.<br /> <br /> Pour continuer le débat :<br /> <br /> Etre trop présent au travail est aussi le noeud de ce mal-être ! Des tâches conséquentes qui "obligent" les salariés à rester tardivement et à accumuler les heures et donc une vie personnelle qui est mise de côté.<br /> <br /> Un article de monde sur ce présentéisme :<br /> <br /> http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/01/present_1768224_3234.html?fb_action_ids=421942167855249&fb_action_types=og.recommends&fb_source=other_multiline&action_object_map=%7B%22421942167855249%22:330581377037419%7D&action_type_map=%7B%22421942167855249%22:%22og.recommends%22%7D&action_ref_map
J
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Venant du milieu de l'industrie, j'ai baigné pendant quelques temps dans le milieu des Musiques Actuelles et Amplifiées et ai effectivement pu constater les dérives parfois rudes inhérentes à ce domaine socio-professionnel.<br /> <br /> <br /> <br /> Je trouve que la démarche qui est initiée dans ce texte est des plus salutaires et louables. <br /> <br /> <br /> <br /> En guise de complément, j'aurais deux remarques : <br /> <br /> - si vous souhaitez réaliser un état des lieux et un diagnostic complet sur la partie 'organisation du travail' je peux vous donner le contact d'une chercheuse experte dans le domaine et qui a déjà plusieurs études de ce type à son actif, dans le domaine de l'industrie<br /> <br /> - Pour ce qui concerne les aspects cognitifs et troubles anxio-dépressifs, les remarques qui sont avancées dans le texte sont des plus pertinentes. Mes différentes réflexions sur le sujet m'ont également conduit à penser que le rapport de chacun à la hiérarchie et au pouvoir (ou à la marge de manoeuvre que l'on accorde à un décideur) est également foncièrement fonction de l'image et de l'estime que l'on a de soi-même. En conséquence, chaque situation de manipulation avérée est à la fois due à l'expression excessive d'un pouvoir malsain sur l'individu mais aussi à la perception foncièrement personnelle que chaque salarié peut avoir de lui-meme. Il importe à tout salarié occupant une fonction d'encadrement d'avoir un minimum de notions en ergonomie cognitives afin de prévenir des situations de ce type...<br /> <br /> bon courage dans la démarche saine et intéressante que vous initiez<br /> <br /> bien cordialement
Bien-être au travail et musiques actuelles/amplifiées
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